jeudi 27 septembre 2012

Le téléspectateur est mort. Vive le télénaute!

La télévision connectée infligera à l'industrie de la télévision une disruption plus brutale que celle qui frappa les industries de la musique et du cinéma...


La télévision de Papa n'est pas encore morte...

Des milliards d'êtres humains passent un bon tiers ou quart de leur existence devant l'écran, les modèles économiques des chaînes TV (généralistes, câblées, satellitaires) sont solidement établis depuis belle lurette, les journaux télévisés mobilisent encore de larges audiences et des séries telles que Game of Thrones (HBO), The Walking Dead, Mad Men, Breaking Bad (AMC) et Homeland (Fox) – pour ne citer qu'elles – scotchent littéralement les téléspectateurs du monde entier à leurs fauteuils.

Toutefois, une innovation technologique ou un business model révolutionnaire peut ouvrir la porte à de nouveaux entrants qui offrent d'abord des services bon marché ou gratuits (souvent mais pas toujours) de moindre qualité, puis accumulent pas à pas d'incontournables et prolifiques niches de consommateurs/utilisateurs grâce précisément à leurs fausses faiblesses initiales. Pour une dizaine d'euros/de dollars par mois, Netflix, Hulu Plus et Amazon Instant Video proposent des services de vidéo à la demande (ou VOD: Video-On-Demand) qui, à défaut de concurrencer ceux des grands networks (ABC, CBS, HBO, Fox, BBC, Canal Plus, DSTV, NHK, etc) satisfont largement des consommateurs peu prompts à débourser 40 ou 50 euros/dollars par mois pour un bouquet satellitaire ou câblé.

Jusqu'ici, tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des mondes télévisés.

Mais les funérailles ont déjà commencé

Les offres triple play et leurs fameuses box multimédia (Internet haut débit, téléphonie fixe et télévision) ne sont qu'un olympien feu d'artifice car elles proposent surtout des chaînes TV « de niches » dont le modèle économique est peu ou prou identique à celui des chaînes satellitaires ou câblées.

En connectant directement ou indirectement sa télévision à l'Internet, le « télénaute » accède à une myriade de services Web TV et VOD innovants proposés par des dragons technologiques tels que Google TV, Apple TV, Samsung Smart TV, LG Smart TV et bien d'autres. Il ne s'agit plus de capter une fréquence mais de connecter son terminal intelligent à l'Internet (avec ou sans fil). Corollairement, la télévision connectée rapproche et synchronise le téléviseur, l'ordinateur, la tablette et le smartphone.

Dès lors, l'innovation technologique devient disruptive car elle déroule le tapis rouge à des business models inédits, modifie les usages et engendre un nouvel écosystème. Le feu d'artifice est terminé, le tir d'artillerie a commencé.

Si vous n'êtes pas convaincu, repensez aux ondes de choc successives du MP3, du iPod, de iTunes, du streaming audio et du peer-to-peer sur l'industrie musicale et son Compact Disc...

Église cathodique contre sectes innovantes

Selon Henry Verdier, président de Cap Digital, « au temps des grilles de programme va succéder une consommation délinéarisée, une pratique sociale, l’utilisation d’algorithmes de recommandation, des programmes inventant une nouvelle interactivité, une organisation nouvelle de ce qui se passe dans les différents écrans et dans le monde réel, etc. [...] C’est l’irruption dans ce marché alléchant de nouveaux acteurs (nos « nouveaux barbares »), extrêmement puissants, dotés d’une remarquable culture de l’innovation, avides de transformer la donne en profondeur. Les petits acteurs peu innovants, cette fois-ci, ce sont les acteurs en place. [...] Google, par exemple, s’est lancé dans la production de contenus, et certains lui prédisent le plus bel avenir. Google sera-t-il le premier producteur mondial de contenus dans trois ans ? A dire vrai, il n’en n’a pas réellement besoin [...] Un épisode de Dr House peut ainsi rémunérer toute une journée de TF1. Un géant d’Internet, avec sa capacité à capturer et concentrer le trafic, n’a théoriquement pas besoin de construire une grille complète. Il pourrait se concentrer sur les contenus extrêmement rentables. [...] Alors on m’objecte qu’une chaîne de télévision, c’est plus que cela. Que c’est un contrat éditorial avec les téléspectateurs, une marque et surtout la résultante d’investissements marketing de très long terme. J’en prends acte, mais j’ai l’impression d’avoir déjà entendu ce genre de raisonnements, par exemple à propos du devenir de la presse… »

Aux Etats-Unis (comptant actuellement 25 millions de téléviseurs connectés), la smart TV est une réalité économique et technologique en pleine effervescence. Ainsi, plus de 1,5 million de foyers américains ont résilié leur abonnement au câble en 2011 (cf.Le Journal du Net). Ce n'est qu'un début.

Dans une remarquable brève de prospective datant de l'année 2006 titrée « Imaginons nous en 2016 », Christian Jegourel brossait le futur de la télévision avec une certaine justesse : « Il reste très peu de chaîne de télévision telle que nous les connaissions en 2006. Toutes celles qui restent appartiennent à des grands portails d’informations qui fournissent des contenus multi supports en flux et en stock sur tous les terminaux du marché. Ils participent activement aux financements des programmes et se font une compétition acharnée au niveau des bassins linguistiques car la notion de territoires géographiques à totalement disparu du monde de l’information. C’est une anecdote mais je me rappelle qu’il y a dix ans les canadiens francophones avaient un accent. Aujourd’hui c’est beaucoup moins marqué. [...] En programme de stock il y a beaucoup plus de choix. Les inévitables séries sont mises à jour en temps réel et nous avons 28 séries qui proposent un nouvel épisode aujourd’hui. 21 sont en VF, les autres en VO. Nous en suivons 4 régulièrement. Nous choisissons une série américaine en VO. La version française arrivera avec un décalage de trois jours pour ceux qui ne parle pas anglais. »

Télévision 2.0

La notion de télévision aura-t-elle encore un sens face à un concept hybridant Youtube, Netflix, Canal Plus, Skype, Facebook, Google Chrome et Microsoft Kinect? Zappera-t-on sur le Web et surfera-t-on sur la télévision? Comment évoluera le paysage médiatique lorsque des communautés de « télénautes » créeront et diffuseront massivement leurs propres contenus multimédia comme c'est le cas pour les médias sociaux? Les chaînes TV classiques seront-elle désarçonnées par la social TV ou la cloud TV

Les professionnels du Web, de la télévision et de la téléphonie devront-ils se réinventer complètement et/ou s'inspirer mutuellement afin de garder la main? Forts de l'expansion de la téléphonie 4G et de la compression vidéo améliorée, des opérateurs télécoms, des FAI ou des infomédiaires financeront-ils des séries télévisées particulièrement originales et spécialement adaptées aux formats Web TV et terminaux mobiles? Les annonceurs publicitaires ajusteront-ils aisément leurs stratégies?

Comment évoluera le rôle des autorités de régulation des télécoms ou des médias dans cet environnement? Mes lecteurs français qui détiennent une tablette ou une smart TV devront-ils payer une « redevance télévision connectée » ou s'acquitter d'une « taxe sur la bande passante »? En effet, les gouvernements successifs de l'Hexagone entretiennent une passion atavique pour la punition fiscale ou légale face à une technologie un peu trop disruptive a fortiori lorsque que les lobbies s'en mêlent. Malgré les digues et forteresses rageusement érigées, l'innovation technologique a irrémédiablement transformé les écosystèmes de la musique et du cinéma.

Il est encore temps pour les équipes dirigeantes de l'industrie TV de faire preuve de plus de sagesse et de longuement méditer cet avertissement : « Winter is coming ».

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