La
télévision connectée infligera à l'industrie de la télévision
une disruption plus brutale que celle qui frappa les industries de la
musique et du cinéma...
La
télévision de Papa n'est pas encore morte...
Des
milliards d'êtres humains passent un bon tiers ou quart de leur
existence devant l'écran, les modèles économiques des chaînes TV
(généralistes, câblées, satellitaires) sont solidement établis
depuis belle lurette, les journaux télévisés mobilisent encore de
larges audiences et des séries telles que Game of Thrones
(HBO), The Walking Dead, Mad Men, Breaking Bad
(AMC) et Homeland (Fox) – pour ne citer qu'elles –
scotchent littéralement les téléspectateurs du monde entier à
leurs fauteuils.
Toutefois,
une innovation technologique ou un business model
révolutionnaire peut ouvrir la porte à de nouveaux entrants qui
offrent d'abord des services bon marché ou gratuits (souvent mais pas toujours) de moindre qualité, puis
accumulent pas à pas d'incontournables et prolifiques niches de
consommateurs/utilisateurs grâce précisément à leurs fausses
faiblesses initiales. Pour une dizaine d'euros/de dollars par mois,
Netflix, Hulu Plus et Amazon Instant Video proposent des services de
vidéo à la demande (ou VOD: Video-On-Demand) qui, à défaut
de concurrencer ceux des grands networks (ABC, CBS, HBO, Fox, BBC,
Canal Plus, DSTV, NHK, etc) satisfont largement des consommateurs peu
prompts à débourser 40 ou 50 euros/dollars par mois pour un bouquet
satellitaire ou câblé.
… Mais
les funérailles ont déjà commencé
Les
offres triple play et leurs fameuses box multimédia
(Internet haut débit, téléphonie fixe et télévision) ne sont
qu'un olympien feu d'artifice car elles proposent surtout des chaînes TV
« de niches » dont le modèle économique est peu ou prou
identique à celui des chaînes satellitaires ou câblées.
En
connectant directement ou indirectement sa télévision à
l'Internet, le « télénaute » accède à une myriade de
services Web TV et VOD innovants proposés par des dragons
technologiques tels que Google
TV, Apple
TV, Samsung Smart TV, LG Smart TV et bien d'autres. Il ne
s'agit plus de capter une fréquence mais de connecter son terminal intelligent à l'Internet (avec ou sans fil).
Corollairement, la télévision connectée rapproche et synchronise le téléviseur, l'ordinateur, la tablette et le
smartphone.
Dès
lors, l'innovation technologique devient disruptive car elle déroule le
tapis rouge à des business models inédits, modifie les usages et engendre un
nouvel écosystème. Le feu d'artifice est terminé, le tir
d'artillerie a commencé.
Si
vous n'êtes pas convaincu, repensez aux ondes de choc successives du MP3, du
iPod, de iTunes, du streaming audio et du peer-to-peer sur
l'industrie musicale et son Compact Disc...
Église
cathodique contre sectes innovantes
Selon
Henry
Verdier, président de Cap Digital, « au
temps des grilles de programme va succéder une consommation
délinéarisée, une pratique sociale, l’utilisation d’algorithmes
de recommandation, des programmes inventant une nouvelle
interactivité, une organisation nouvelle de ce qui se passe dans les
différents écrans et dans le monde réel, etc. [...]
C’est
l’irruption dans ce marché alléchant de nouveaux acteurs (nos «
nouveaux barbares »), extrêmement puissants, dotés d’une
remarquable culture de l’innovation, avides de transformer la donne
en profondeur. Les petits acteurs peu innovants, cette fois-ci, ce
sont les acteurs en place. [...]
Google, par exemple, s’est lancé dans la production de contenus,
et certains lui prédisent le plus bel avenir. Google sera-t-il le
premier producteur mondial de contenus dans trois ans ? A dire vrai,
il n’en n’a pas réellement besoin [...]
Un
épisode de Dr House peut ainsi rémunérer toute une journée de
TF1. Un géant d’Internet, avec sa capacité à capturer et
concentrer le trafic, n’a théoriquement pas besoin de construire
une grille complète. Il pourrait se concentrer sur les contenus
extrêmement rentables. [...]
Alors on m’objecte qu’une chaîne de télévision, c’est plus
que cela. Que c’est un contrat éditorial avec les téléspectateurs,
une marque et surtout la résultante d’investissements marketing de
très long terme. J’en prends acte, mais j’ai l’impression
d’avoir déjà entendu ce genre de raisonnements, par exemple à
propos du devenir de la presse… »
Aux
Etats-Unis (comptant actuellement 25 millions de téléviseurs
connectés), la smart
TV est une réalité économique et technologique en
pleine effervescence. Ainsi, plus de 1,5 million de foyers
américains ont résilié leur abonnement au câble en 2011 (cf.Le
Journal du Net). Ce n'est qu'un début.
Dans
une remarquable brève de prospective datant de l'année 2006 titrée
« Imaginons
nous en 2016 », Christian Jegourel brossait le futur
de la télévision avec une certaine justesse : « Il
reste très peu de chaîne de télévision telle que nous les
connaissions en 2006. Toutes celles qui restent appartiennent à des
grands portails d’informations qui fournissent des contenus multi
supports en flux et en stock sur tous les terminaux du marché. Ils
participent activement aux financements des programmes et se font une
compétition acharnée au niveau des bassins linguistiques car la
notion de territoires géographiques à totalement disparu du monde
de l’information. C’est une anecdote mais je me rappelle qu’il
y a dix ans les canadiens francophones avaient un accent. Aujourd’hui
c’est beaucoup moins marqué. [...]
En
programme de stock il y a beaucoup plus de choix. Les inévitables
séries sont mises à jour en temps réel et nous avons 28 séries
qui proposent un nouvel épisode aujourd’hui. 21 sont en VF, les
autres en VO. Nous en suivons 4 régulièrement. Nous choisissons une
série américaine en VO. La version française arrivera avec un
décalage de trois jours pour ceux qui ne parle pas anglais. »
Télévision
2.0
La
notion de télévision aura-t-elle encore un sens face à un concept
hybridant Youtube, Netflix, Canal Plus, Skype, Facebook, Google
Chrome et Microsoft Kinect? Zappera-t-on sur le Web et surfera-t-on
sur la télévision? Comment évoluera le paysage médiatique lorsque
des communautés de « télénautes » créeront et
diffuseront massivement leurs propres contenus multimédia comme c'est le cas pour les
médias sociaux? Les chaînes TV classiques seront-elle désarçonnées par la social TV ou la cloud TV?
Les
professionnels du Web, de la télévision et de la téléphonie
devront-ils se réinventer complètement et/ou s'inspirer
mutuellement afin de garder la main? Forts de l'expansion de la
téléphonie 4G et de la compression vidéo améliorée, des opérateurs
télécoms, des FAI ou des infomédiaires financeront-ils des séries
télévisées particulièrement originales et spécialement adaptées aux formats Web TV et terminaux mobiles? Les annonceurs publicitaires ajusteront-ils aisément leurs stratégies?
Comment
évoluera le rôle des autorités de régulation des télécoms ou
des médias dans cet environnement? Mes lecteurs français qui détiennent une tablette ou une smart TV devront-ils payer une « redevance télévision connectée » ou s'acquitter d'une « taxe sur la bande passante »? En effet, les gouvernements successifs de l'Hexagone entretiennent une passion
atavique pour la punition fiscale ou légale face à une technologie
un peu trop disruptive a fortiori lorsque que les lobbies s'en mêlent. Malgré les digues et
forteresses rageusement érigées, l'innovation technologique a irrémédiablement transformé les écosystèmes de la musique et du cinéma.
Il
est encore temps pour les équipes dirigeantes de l'industrie TV de
faire preuve de plus de sagesse et de longuement méditer cet
avertissement : « Winter is coming ».
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